jeudi 24 juillet 2014

Layane doit prendre sa vie en main

Ce sera difficile de suivre si vous n'avez pas lu le début qui se trouve ici :-)

être responsable de la vie que l'on aime

Le retour au studio se fait la boule au ventre. Le silence m’agresse en ouvrant la porte d’entrée.

Je sais que si je ne décide pas très vite de la façon dont je vais occuper les prochaines semaines, je risque de sombrer.
Le voyant du répondeur attire mon attention.
Écoute, ce… c’est absurde toute cette histoire. Il faut que l’on se voie. Tout ça, c’est du passé. Je… j’ai lourdement payé, si ça peut te rassurer. Rappelle-moi.
Je demeure un petit moment, debout, figée.
Lourdement payé? Que veut-elle dire? Et moi? Moi, comme d’habitude, ça ne compte pas ce que je ressens! Et ce n’est pas du passé, au contraire!
Je sens toute ma colère revenir au galop, incontrôlable, destructrice. Je jette mes affaires sur le canapé et reviens effacer le message.
-          Il est exclu que je te rappelle, je n’ai plus rien à te dire! Moi, ce passé m’intéresse. Tu ne veux pas m’en parler? Soit! Je vais aller le dénicher ce passé et ce n’est pas toi qui vas m’en empêcher! Vis ta vie, je m’en fous de savoir que t’en as bavé, c’est ta responsabilité, pas la mienne!
Je m’assieds enfin, vidée, et le silence envahit à nouveau la pièce, mais ce n’est pas le même.
Le message de ma mère achève de me convaincre. Une nouvelle vie m’attend.
Le fait d’avoir pu dire ce que je ressentais, même sans que ma mère ne puisse l’entendre a libéré ma détermination. Les derniers barreaux qui entravaient ma liberté d’agir ont sauté.
Je n’en avais pas conscience, mais le devoir filial, l’amour, que je porte malgré tout à ma mère, m’empêchaient de réellement concevoir un projet allant à l’encontre de sa volonté et risquant de la briser un peu plus.
-          Tu parles! Ça fait vingt ans que je la connais, vingt ans qu’elle déprime, alors un peu plus, un peu moins! Elle m’accusera de la faire souffrir et, pour une fois, ce sera vrai!
Je réalise que j’ai toujours connu ma mère sous l’emprise de la dépression. D’après elle, les antidépresseurs et les somnifères lui sont indispensables pour affronter le quotidien. Pourquoi?
Quel échec de la médecine, tout de même! Plus de vingt ans sous traitement sans résultat!
Enfin bref, ce n’est pas mon problème!
Dans l’immédiat, manger est mon problème…
Je repense à Jérémy. Le pauvre ne sait pas ce qui compose mes repas, sinon il n’aurait jamais eu à l’idée de venir manger chez moi.
Un sandwich basique au jambon plus tard, j’éteins la télévision qui m’accorde toujours sa présence, lorsque je dîne. Je dois à présent définir un plan d’action pour mener à bien mes recherches.
J’en ai besoin pour avancer, pour me construire, pour savoir qui je suis.
Je ne me souviens pas m’être sentie à ma place au sein de ma famille. Les parents de ma mère, décédés tous deux quand j’étais encore petite ne m’ont guère laissé de souvenirs et, comme Aline était enfant unique, les repas familiaux se sont rapidement résumés à trois personnes : ma mère, moi et Pierre.
Eh oui, parce que je n’ai jamais pu apprendre quoi que ce soit au sujet de la famille de mon usurpateur de père. J’eus beau questionner à de multiples reprises ma mère, tenter différentes approches avec Pierre, rien à faire.
Les réponses restaient invariablement les mêmes :
Je n’ai pas envie de parler d’eux. Ils ne sont plus de ce monde, inutile de revenir dessus. Ton père ne souhaite pas en parler, de toute façon, ils sont décédés. Non, ton père n’avait pas de frères, ni de sœurs, que des enfants uniques dans la famille, c’est aussi bien…
De fait, je m’étais passée d’eux. Par ailleurs, dans la mesure où je ne m’entendais pas avec Pierre en raison de nos petites séances privées et de son autorité abusive, ajouté au fait que ma mère, malgré tous mes efforts, me demeurait un mur froid d’indifférence, on ne peut pas dire que j’ai expérimenté la valeur des liens du sang.
Sauf qu’aujourd’hui, tout a changé. Je comprends que mon mal-être latent n’était pas seulement dû aux étranges relations que j’entretenais avec mes parents, mais aussi à cette conscience profonde que mes fondations reposaient sur un non-dit.
Beaucoup de familles dissimulent, paraît-il, des secrets inavouables. Mesure-t-on les conséquences que cela peut avoir sur les générations à venir? Peut-on évaluer ce que ces tabous charrient d’incompréhensions et de difficultés à se construire? Ils se transmettent par héritage, tout comme les biens et les souvenirs. Que doit-on en faire, lorsque, par surprise, par hasard, au détour de la vie, ils sont mis à nu?
-          Bon, si tu continues comme ça, tu ne vas guère avancer! Qu’est-ce que j’ai fait de mon agenda encore? Ah, le voilà!
Être efficace, ne pas me perdre dans des pensées qui me rendent fragile et instable.
Je décide donc de commencer par m’inscrire au chômage dès le lendemain, puis je mettrai à plat tout ce que je sais sur mon nouveau père, sachant que ça ira vite vu le peu de choses que j’ai apprises; le but, c’est  de comprendre comment je peux obtenir des informations sur lui.
Pour l’heure, il se fait tard et je m’aperçois avec étonnement que je n’ai pas souffert comme je le pensais de me retrouver seule, sans lendemains programmés.
-          C’est bon signe! C’est que tu vas dans le bon sens! Bon, réveil ou pas réveil?
La tentation est forte, maintenant que je n’ai plus d’obligation à me lever de bonne heure, d’oublier le réveil. J’ai la nette sensation d’entendre un bref instant un petit diable qui, d’un côté de ma tête, me souffle de profiter de belles grasses matinées et de l’autre, un petit ange qui m’exhorte à ne pas me laisser aller!
-          Ok. Je mets le réveil.
Je sais que, si je commence à ne pas me contraindre, je risque de passer mes journées à traîner dans le studio, le vague à l’âme et l’avenir en berne.
Pour la première fois depuis longtemps, je dors d’une traite jusqu’à ce que l’alarme me tire brutalement d’un rêve étrange au cours duquel Pierre m’apparaissait, le visage triste et tourmenté.
Un instant troublée, je reste entre deux mondes, puis les rayons du soleil qui filtrent à travers le rideau de ma fenêtre m’arrachent de mon lit, convaincue que la journée sera belle quoi qu’il arrive.

-          Si je n’y crois pas, je n’y arriverai pas!


Merci de me suivre ! N'oubliez pas : vos commentaires sont les bienvenus, quels qu'ils soient !
Je vous souhaite une très belle journée ou une nuit de beaux rêves, selon l'heure à laquelle vous découvrez ces lignes :-)

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